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Célia Houdart

Sealand et l’architecture de la mer

Hamed Khosravi

Sidewalk Labs : l’utopie de la plateforme Google

Matthew Stewart

Oval – Chapitre 21

Elvia Wilk

The Offsetted (Les Compensés)

Daniel Fernández Pascual & Alon Schwabe

Numéro épuisé

Personnel au sol
Célia Houdart
Entre Bruxelles et les îles Canaries, au début de l’année 2020, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre bouclaient les repérages du film Rien à foutre. Adèle Exarchopoulos y joue le rôle de Cassandre, une jeune femme « basée » - c’est le terme qu’elle emploie - à Lanzarote, où elle travaille comme « personnel commercial navigant junior ». Cassandre partage son temps entre les heures de vol et la vie insulaire, épuisant les conséquences du contrat faustien qu’elle a passé avec une compagnie low cost européenne.   
À quoi ressemble la vie dans ces bases installées en différents points du globe par les compagnies low cost ? Quels espaces occupent-elles ? Leur modèle est emprunté à l’aviation militaire. Un avion et son équipage sont installés dans un aéroport. L’appareil effectue ses rotations pendant la journée mais retourne à sa base tous les soirs. La régularité et la longueur réduite des vols permettent de retrancher les frais d’escale et de financiariser le service à bord. La compression des coûts justifie aussi une culture d’entreprise foncièrement agressive. Les contrats sont précaires - No strings attached comme on dit sur les applis.
Pendant l’été 2020, alors que la production du film était au point mort - la pandémie de Covid-19 ayant soudainement immobilisé 60% du trafic aérien mondial - Célia Houdart s’est plongée dans les photos de repérage prises par l’équipe de tournage pour écrire Personnel au Sol. Qu’il s’agisse d’un immeuble de logements - Villa Crimée (P.O.L, 2018) ou de la villa E 1027 de l’architecte Eileen Gray - Tout un monde lointain (P.O.L, 2017), Célia Houdart choisit régulièrement l’architecture comme sujet et comme espace littéraire. Elle investit ces espaces avec une acuité sensorielle merveilleuse.
Sealand et l’architecture de la mer
Hamed Khosravi
Quel est en 2021 le visage de la contre-culture ? Qui en sont les corsaires, hackers ou crypto-anarchistes ? Et surtout, où sont les espaces au sein desquels habiter et produire en toute autonomie, c’est-à-dire selon ses propres règles, en dehors des contraintes d’argent et de temps ?
Dans l’histoire de la contre-culture, ces espaces ont souvent pris la forme d’architectures en béton, à la fois rigides et frugales : loft post-industriel à New York dans les années 1970, garage à Los Angeles dans les années 1980, friche à Berlin dans les années 1990. La principauté de Sealand n’échappe pas à la règle avec ses milliers de mètres cubes de béton, sa simplicité formelle et son isolement radical.
Les architectures anonymes, réduites au minimum et agissant comme pur potentiel, dont Sealand représente ici l’archétype offshore, sont au cœur des recherches du collectif The City as a Project qu’Hamed Khosravi a co-fondé en 2010 avec ses camarades du Berlage Institute, eux-mêmes architectes chercheurs et travailleurs précaires. Le lien entre la nouvelle forme d’activisme architecturale qu’ils revendiquent - l’architecture elle-même comme acte d’émancipation de conditions sociales et politiques subies - et le rapport de la contre-culture à ce même type d’espaces, est cependant rarement aussi explicite. Ce rapprochement éclaire les inspirations punk de ce courant de pensée influent et donne à ce texte toute sa saveur.
« Sealand, architecture de la mer » a déjà fait l’objet de deux publications en ligne. La première en Février 2018 dans l’Avery Review - projet éditorial de l’université de Columbia - et la deuxième en Août 2019 dans Architecture and Culture - journal de l’Architectural Humanities Research Association.
Sidewalk Labs : l’utopie de la plateforme Google
Matthew Stewart
Il y a une forme d’incurie apparente dans la gestion de la ville en Californie qui autorise à considérer avec scepticisme les prétentions de la Big Tech à investir globalement le monde de l’urbanisme.
Pourtant, en 2015, après la création de la Holding Alphabet pour réunir les sociétés détenues par Google, Sidewalk Labs figure en bonne place. La société est issue du mariage arrangé de pontes de la Silicon Valley à des aménageurs new-yorkais. Sa double expertise a séduit la métropole de Toronto et mis l’établissement public chargé de l’aménagement du front de mer en confiance pour forger une alliance sans précédent entre les GAFAM et les pouvoirs publics, puis lancer l’étude d’un des projets de « smart city » les plus observés et les plus débattus au monde.
Le texte de Matthew Stewart (designer, chercheur, spécialiste des manifestations de l’économie de la data dans l’espace) appartient à ce débat. Sa manière de décortiquer le discours et de montrer le degré de simulacre du projet en fait un élément précieux. Matthew Stewart l’a publié pendant l’été 2019 sur le site de Failed Architecture, un collectif hollandais qui se méfie de la cosmétique du design, et qui voudrait « ramener l’architecture à la réalité ».
Le retour à la réalité eut lieu moins d’un an plus tard pour Sidewalk Labs. Dans un communiqué publié en mai 2020, Dan L. Doctoroff déclarait que la multiplication des incertitudes engendrées par la pandémie de Covid-19 condamnait la faisabilité du projet. « Il est devenu trop difficile de rendre le projet de 5 hectares viable financièrement sans sacrifier des éléments essentiels du plan. »
Cette déclaration intervint après des mois de bras de fer entre Sidewalk Labs et les autorités locales, stupéfaites par le mélange d’aplomb et d’opacité du prétendant aménageur. Bras de fer auquel se joignait, sur fond de naufrage médiatique, le cœur grandissant des habitants, universitaires et sommités de la tech opposés au projet.
La conclusion des habitants est exprimée de manière limpide dans un article du Toronto Star : « les projets de promotion de la smart city ne peuvent pas tomber du ciel par pans entiers et s’attendre à gagner l’approbation du public à coups d’ingénierie marketing et de promesses futuristes. Le projet de Sidewalk Labs montrait des lacunes techniques. Ni les possibilités de régulation ni même la gouvernance de l’ensemble à l’issue de l’aménagement n’étaient claires. »
Il n’est pas certain qu’on échappe à la smart city et à l’argument de l’efficacité d’une gestion numérique de l’énergie ou des transports. Quoiqu’il en soit, il y a un réel enjeu à limiter l’ingérence d’entreprises comme Sidewalk Labs dans l’urbanisme. La complexité des technologies qu’elles mettent en œuvre nécessite plus que le cheminement traditionnel de validation d’un projet d’aménagement urbain. « Il faut inventer un processus d’approbation sociale qui dépasse les simples logiques de l’économie de marché et le cadre classique des politiques urbaines. »
Oval – Chapitre 21
Elvia Wilk
Oval est le premier roman d’Elvia Wilk. L’histoire a simplement « émergé » dit l’auteure, pendant les années passées à Berlin, tandis qu’elle écrivait des chroniques sur l’art, l’architecture et la technologie pour ArtforumFriezeMousse ou Uncube magazine.
Oval est donc une fiction qui frôle le réel : météo étrange et lente émergence d’une crise dans un couple. Anja est interpellée par l’apathie de son compagnon qui vient pourtant de perdre sa mère. Il est absorbé par le travail, secrètement mené à l’aide d’une pilule nommée Oval, capable de modifier temporairement la chimie du cerveau de l’utilisateur pour doper sa générosité. Il suffirait d’en inonder les réseaux de deal des nuits berlinoises pour régler les problèmes de disparité économique de la ville. 
Qu’il s’agisse de cette drogue, ou de la maison de synthèse habitée par le couple - maison dont nous publions ici une scène de décomposition - chaque étrangeté fictionnelle conçue par Elivia Wilk met le doigt sur l’ambiguïté des discours écologiques. Elle montre aussi avec une grande lucidité le caractère éminemment versatile d’un monde en crise dans lequel l’artiste devient consultant, la recherche biologique devient start-up et une cellule de cartilage se change en maison.
The Offsetted (Les Compensés)
Daniel Fernández Pascual & Alon Schwabe
Daniel Fernández Pascual et Alon Schwabe ont écrit ce texte en 2017, pour le lire en public lors du festival de performance new-yorkais Performa17. La carte de la forêt urbaine de New York défilait sur le mur devant lequel les auteurs se tenaient, pris dans la lumière de la projection, aveuglante et constellée de pastilles vertes. Le projet a pris différentes formes depuis. Une installation à la Ross Architecture Gallery de l’université de Columbia puis une publication sur la plateforme e-flux
La dimension performative du texte est loin d’être un détail. Elle le situe dans un genre, à l’intersection entre arts visuels, recherche et pratiques spatiales(souvent une manière plus ouverte de dire architecture). Elle repose sur la force du discours, les effets de révélation. Il faut dire que le dessous des cartes donne le vertige : financiarisation du vivant, campagne participative qui vire au jeu de massacre économique, autant d’arguments pour une critique en bonne et due forme de la légitimité du politique à gouverner les arbres. Cependant, sous le spectacle du discours, c’est la description subtile du dispositif de forêt urbaine qui nous fait vraiment aimer ce texte.
Les auteurs exposent la fabrique progressive des politiques de compensation aussi bien que les mouvements de contestation qu’elles ont déclenchés : les fédérations paysannes au Mozambique ou les embrasseurs d’arbres du Garhwal en Inde. 
Tout cela nous rappelle que la carte numérique de la forêt urbaine de New York n’est pas seulement un outil soumis aux logiques exclusives de la finance. Elle ouvre un espace qui a un sens, un espace puissant de représentation des arbres et de leurs voisins humains.
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