Sidewalk Labs : l’utopie de la plateforme Google
Matthew Stewart
Il y a une forme d’incurie apparente dans la gestion de la ville en Californie qui autorise à considérer avec scepticisme les prétentions de la Big Tech à investir globalement le monde de l’urbanisme.
Pourtant, en 2015, après la création de la Holding Alphabet pour réunir les sociétés détenues par Google, Sidewalk Labs figure en bonne place. La société est issue du mariage arrangé de pontes de la Silicon Valley à des aménageurs new-yorkais. Sa double expertise a séduit la métropole de Toronto et mis l’établissement public chargé de l’aménagement du front de mer en confiance pour forger une alliance sans précédent entre les GAFAM et les pouvoirs publics, puis lancer l’étude d’un des projets de « smart city » les plus observés et les plus débattus au monde.
Le texte de Matthew Stewart (designer, chercheur, spécialiste des manifestations de l’économie de la data dans l’espace) appartient à ce débat. Sa manière de décortiquer le discours et de montrer le degré de simulacre du projet en fait un élément précieux. Matthew Stewart l’a publié pendant l’été 2019 sur le site de
Failed Architecture, un collectif hollandais qui se méfie de la cosmétique du design, et qui voudrait « ramener l’architecture à la réalité ».
Le retour à la réalité eut lieu moins d’un an plus tard pour Sidewalk Labs. Dans un communiqué publié en mai 2020, Dan L. Doctoroff déclarait que la multiplication des incertitudes engendrées par la pandémie de Covid-19 condamnait la faisabilité du projet. « Il est devenu trop difficile de rendre le projet de 5 hectares viable financièrement sans sacrifier des éléments essentiels du plan. »
Cette déclaration intervint après des mois de bras de fer entre Sidewalk Labs et les autorités locales, stupéfaites par le mélange d’aplomb et d’opacité du prétendant aménageur. Bras de fer auquel se joignait, sur fond de naufrage médiatique, le cœur grandissant des habitants, universitaires et sommités de la tech opposés au projet.
La conclusion des habitants est exprimée de manière limpide dans un article du Toronto Star : « les projets de promotion de la smart city ne peuvent pas tomber du ciel par pans entiers et s’attendre à gagner l’approbation du public à coups d’ingénierie marketing et de promesses futuristes. Le projet de Sidewalk Labs montrait des lacunes techniques. Ni les possibilités de régulation ni même la gouvernance de l’ensemble à l’issue de l’aménagement n’étaient claires. »
Il n’est pas certain qu’on échappe à la smart city et à l’argument de l’efficacité d’une gestion numérique de l’énergie ou des transports. Quoiqu’il en soit, il y a un réel enjeu à limiter l’ingérence d’entreprises comme Sidewalk Labs dans l’urbanisme. La complexité des technologies qu’elles mettent en œuvre nécessite plus que le cheminement traditionnel de validation d’un projet d’aménagement urbain. « Il faut inventer un processus d’approbation sociale qui dépasse les simples logiques de l’économie de marché et le cadre classique des politiques urbaines. »